Afin d’introduire notre catégorie sur les neurosciences, il me paraît opportun de vous faire part de leur histoire au fil des siècles de l’antiquité jusqu’à aujourd’hui. J’ai utilisé beaucoup d’images de portraits volontairement pour travailler votre physionomie ainsi que des illustrations d’appareils cérébraux pour rendre le propos plus concret.
Les sciences du cerveau ont impliqué à travers l’histoire un nombre conséquent de grands hommes et femmes qui ont cherché à comprendre une première question : qu’est ce qui génère notre pensée ?
Premier débat sujet à controverses : Cœur ou cerveau ? Cardio-centristes contre Céphalo-centristes.
Déjà à l’époque comme dirait Jean Didier Vincent : on sait qu’il y a deux manières radicales de tuer un homme : lui couper la tête, ou lui planter une épée dans le cœur.
Démocrite (-460 -370) père de l’atome pense déjà que le siège de notre cerveau est dans notre tête. Pour lui notre cerveau serait constitué d’atomes psychiques qui parcourent tout notre corps. Ces atomes permettent d’animer nos muscles.
Démocrite
Aristote (-384 -322) s’oppose à cette idée, le cœur est pour lui le siège de nos fonctions motrices et psychiques. Pourquoi ? En anatomie, lorsque l’on envoie un fluide avec une pression sur le cœur, cela entraîne une réaction de contraction mécanique contrairement au cerveau.
Aristote
Le premier débat et qui durera fort longtemps était né et voit s’opposer céphalo-centristes aux cardio-centristes.
Galien (129-201) céphalo-centriste comme Platon, Hippocrate, Hérophile, et Erasistrate qui sont trois médecins grecs, va à peine plus loin que Démocrite. Pour lui l’âme est matérialisée par un pneuma (souffle) psychique qui circule du cerveau jusqu’à nos nerfs.
Les pères de l’église et notamment Némésius (350-420) vont plus loin, ils vont assigner des fonctions de notre pensée à des ventricules de notre cerveau. Ce sont les premières démarches localisationnistes.
Némésius
Au 16ème siècle au cours de la Renaissance va s’effectuer le retour des thèses anatomiques. Léonard de Vinci et Varole dissèquent le cerveau tandis que Vésale va illustrer avec fidélité toutes les circonvolutions et vaisseaux sanguins de notre appareil cérébral. Ils sont les premiers phrénologues.
Descartes (1596-1650) quant à lui va se montrer plus radical, pour lui le corps est une machine composée d’os de nerfs et de muscles, esprit plus rationnel qu’anatomiste, il va lier l’âme à la glande pinéale qui est unique mais réalisera une description du fonctionnement des mouvements du corps si précise qu’elle est encore en adéquation avec les théories actuelles sur l’arc réflexe.
René Descartes
Thomas Willis (1621-1675) attribue la primauté au cortex cérébral, il identifie le corps calleux qui sépare les deux hémisphère et isole la matière grise et la matière blanche médullaire (moyen) dont la description est proche de celle qu’on utilise aujourd’hui pour la production d’influx nerveux. Cependant encore une fois pour ne pas s’attirer les foudres de l’église, il va lier l’âme aux corps striés mais accepte l’idée de son caractère immatériel.
Thomas Willis
La fin de l’immatérialité de l’âme
En parallèle Gassendi (1592-1650) qui pourtant fait partie de l’église réhabilite les atomistes grecs et considère que les animaux qui font preuve de mémoire doivent eux-aussi avoir une âme ce qui dévalue beaucoup la supériorité de l’homme sur les animaux.
Gassendi
Le concept d’immatérialité de l’âme va être enterré peu à peu lorsque Vaucanson (1709-1782) dont j’ai déjà parlé dans mon article sur les sciences cognitives aidé par le chirurgien Le Cat (1700-1768) va fabriquer les premiers automates d’animaux avec le canard qui bat des ailes, se déplace, et digère les aliments. La Mettrie (1709-1751) se verra banni par l ‘église pour avoir dit que les hommes sont des animaux machines. Et Cabanis (1757-1808) dira que le cerveau secrète la pensée comme le foie secrète la bile.
La phrénologie
Franz Joseph Gall (1757-1828) achève la laïcisation du cerveau (rupture avec l’église) déjà bien entamée par La Mettrie et Cabanis. Il se distingue également des thèses sensualistes de John Locke (1632-1704) et Etienne de Condillac (1714-1780) (primauté des sens). En effet, véritable père de la phrénologie Gall va décrire 35 facultés morales et psychiques propre à l’être humain et les cartographier au cortex cérébral. Gall est un localisationniste mais ses méthodes sont très discutables, il va abandonner l’étude des circonvolutions ( dissection des aires du cerveau ) pour développer la science des crânes ou cranioscopie directement issue de la phrénologie.
Deuxième débat sujet à controverses: Unité ou fragmentation du cerveau ? Unitaristes contre Localisationnistes
Flourens (1772- 1844) dont les idées sont très appréciées par l’église et l’état va mettre Gall à rude épreuve. Il va pratiquer des ablations (méthode utilisée encore aujourd’hui) dont les résultats confirment les thèses localisationnistes mais va en faire une interprétation unitariste. Il considère que par l’ablation de certaines zones du cortex, toutes les fonctions générales disparaissent peu à peu (unité) alors qu’en fait chaque zone du cerveau à une fonction bien précise.
Pierre Flourens
En parallèle, François Leuret (1797-1851) et Pierre Gratiolet (1815-1865) vont établir les premières cartographies presque exacte des circonvolutions du cerveau. On leur doit la scissure de Rolando et la scissure de Sylvius et la découpe en différent lobes : pariétal, temporal, occipital, frontal.
Jean baptiste Bouillaud (1797-1861) élève de Gall et continuateur de ses travaux va essayer de faire le lien entre langage et certaines aires du cerveau. Il invente l’anatomopathologie qui deviendra par la suite la neuropsychologie.
Jean Baptiste Bouillaud
Paul Broca (1824-1880), réussit cet objectif notamment avec le patient du nom de Leborgne dont on étudiera le cerveau après la mort. Leborgne n’arrivait pas à formuler une phrase mais répétait toujours « tan-tan ». Son cerveau présentait une lésion dans le lobe frontal de l’hémisphère gauche. On fait donc le lien entre la production du langage et cette zone corticale. Broca va donc cartographier toutes les zones du cerveau de manière fonctionnelle. Il va mettre en valeur une asymétrie entre les deux hémisphères du cerveau ce que ne soupçonnait pas Gall.
Paul Broca
Korbinian Brodmann (1868-1918) va ainsi proposer une carte fonctionnelle complète des aires du cerveau humain et du singe qu’on utilise toujours aujourd’hui.
Korbinian Brodmann
Les localisationnistes s’imposent donc vers 1900 bien que certains unitaristes pensent toujours qu’ils ont raison. Ainsi il faut souligner le point de vue du docteur Head qui émet une critique plus nuancé du localisationnisme. Il explique que la localisation n’est pas intrinsèquement liée qu’au cortex et qu’elle est trop simpliste pour rendre compte intégralement du fonctionnement du système nerveux. Ses critiques vont stimuler encore plus la recherche des vainqueurs du débat.
Henry Head
Pendant ce temps, Van Leeuwenhoek (1632-1723) et Robert Hooke (1635-1703) découvrent la cellule dans les tissus végétaux et dans le sang. On cherche alors à répondre à la question suivante : de quoi la matière grise et blanche sont constituées ?
L’histologie du neurone
L’histologie est l’étude grâce aux microscopes, d’abord rudimentaires, au fil du temps les microscopes vont devenir de plus en plus précis en passant de l’optique à l’électronique.
Mais n’allons pas trop vite Malpighi (1628-1694) observe pour la première fois un cerveau avec un appareil grossissant en 1685.
Marcello Malpighi
Van Leeuwenhoek observe les nerfs avec un appareil d’optique rudimentaire si bien qu’ils croient que les nerfs sont creux. En fait il observe les axones composés d’une gaine de myéline (substance blanche).
Jusqu’en 1824 et Dutrochet (1776-1846), les observations au microscope ne progressent pas jusqu’à ce que que celui-ci découvre le corps cellulaire ou soma. Plus tard Valentin découvrira les queues protoplasmiques qui sont les dendrites. Deiters (1834-1863) dans une lettre posthume va conclure que le soma (voir aussi pericaryon) a un noyau et un cytoplasme que l’axone est unique et que les dendrites sont ramifiées.
Malheureusement ? Comment confirmer ? En effet les somas ne s’assemblent pas entre eux. Les neurones s’assemblent par les dendrites ce qui est impossible à voir au microscope optique à l’époque.
C’est ainsi que naît le troisième débat sujet à controverse :
Troisième débat sujet à controverses : Système nerveux continu ou contigu ? Réticularistes contre Neuronistes.
Joseph Von Gerlach (1820-1896) chef de file des réticularistes (voir la définition de réticule en médecine) identifie un plexus dendritique grâce à la coloration au chlorure d’or. En réalité ce plexus est un artefact et Golgi réticulariste tout comme lui qui enseigne l’histologie à Pavie met au point une coloration : la réazione néra qui révèle l’intégralité de la cellule nerveuse avec ses axones et ses dendrites. Spécialiste du cortex, il croit voir un réseau axonal continu et avouera en 1906 qu’il ne peut abandonner l’idée d’une thèse ou le système nerveux serait continu. En fait derrière les thèses réticularistes transpirent les thèses unitaristes.
Première estocade portée à Golgi par Wilhelm Kuhne (1837-1900), en effet celui-ci décrit que quand le nerf moteur arrive au niveau de la fibre, il ne pénètre jamais dans le muscle ou cylindre contractile.
Wilhelm Kuhne
Wilhelm His (1831-1904), embryologiste suisse va porter un autre coup : en effet le neurone au stade embryonnaire est dépourvue de neurites qui sont les axones et les dendrites.
Wilhelm His
Viennent se mêler les psychiatres, Freud (1856-1939) de formation neurologiste fait des travaux d’anatomie qu’il pense venir au soutien des thèses réticularistes pendant que Forel (1848-1931) étudie la dégénérescence du réseau axonal et dendritique et analyse que les unités endommagés ne pénètre pas le corps cellulaire. (neuroniste)
Le coup final à l’avantage des neuronistes est porté par Ramon y Cajal (1852-1934) grâce à un type de cellules spéciales qu’on appelle les cellules de Purkinje dans le cervelet qui possèdent un axone en corbeille du corps cellulaire et qu’il est anatomiquement indépendant de la cellule cible.
La microscopie électronique confirmera les thèses des neuronistes dont le mot neurone et chromosome viennent de Waldeyer. Plus encore elle mettra en évidence le fait que le système nerveux est contigu et que l’espace entre ces neurones est comblé par la synapse dont le nom vient de Sherrington (1857-1952)
Waldeyer
L’électricité et les substances médicamenteuses
Francis Glisson (1577-1677) professeur de physique de l’université de Cambridge extrapolait déjà en réaction à la machinerie de Descartes, une thèse à propos de l’excitabilité des tissus nerveux ainsi qu’une sensibilité propre à ces nerfs.
Francis Glisson
Albrecht Von Haller (1708-1777) expérimentera à l’aide d’alcool, de potasse caustique et de vitriol le deuxième point : les muscles se contractent. Mais quelle est la substance qui provoque cette contraction ?
Von Haller
Luigi Galvani (1737-1798) qui travaille sur l’électricité atmosphérique utilise une barre de fer et implante la moelle épinière de la grenouille avec un crochet en cuivre et les pattes se contractent. Volta (1745-1827) son compatriote conteste, pour lui Galvani n’a prouvé que la conduction de l’électricité métallique et il a raison. On devra d’ailleurs à Volta la création de la pile et en son honneur l’unité de tension électrique.
Galvani réagit et enlève la moelle épinière du corps de la grenouille, dénude une cuisse et la met en contact avec la moelle, la cuisse se contracte encore. Voici une autre controverse entre électricité métallique et animale qui ne prendra fin qu’avec Mateucci en 1838 et grâce à un appareil électrique qui va enregistrer un courant propre issu du muscle : le galvanomètre dont le nom dérive de Galvani.
Voici donc la genèse de l’électrophysiologie.
Electricité périphérique et corticale
On va donc passer de la biologie à la physique et ce grâce à Du Bois Reymond (1818-1896) qui va porter la physiologie mécanique ancêtre de ce qu’on appelle aujourd’hui la biophysique. Il montre que le signal qui se propage le long du nerf est une onde de négativité qui se transforme en courant électrique et en potentiel d’action.
Du Bois Reymond
Von Helmholtz (1821-1894) applique son expertise de la balistique pour mesurer la vitesse du courant électrique et celui-ci est bien inférieur à la vitesse du courant dans un fil de cuivre et même du son (340 m/s) pour atteindre entre 25 et 40 m/s.
Von Helmholtz
Ainsi Mateucci et Flourens vont essayer de stimuler le cortex chimiquement et électriquement sur des grenouilles pour en activer les cuisses, mais rien ne se passe. Au grand plaisir de Flourens qui s’était déjà opposé à Gall et dont les thèses spiritualistes sont très en vogue à l’époque.
Mais Fritz et Hitzig deux médecins berlinois sont sur d’eux, ils ont vu un mouvement des yeux sur l’homme après stimulation corticale. Ils entreprennent alors des expériences sur les chiens, animal voisin de l’homme et constatent bien un mouvement oculaire. Mais comme dirait Volta, cela ne veut pas dire que le cortex génère sa propre électricité !
Caton (1842-1926) vient à leur secours, en 1875, il place une électrode sur la matière grise du lapin et avec son galvanomètre obtient une mesure du courant électrique. Lorsqu’il expose la rétine à une onde lumineuse il obtient un signal plus fort. Caton invente là l’électroencéphalographie (ECG) : Le cortex cérébral génère donc lui aussi des ondes électriques.
Richard Caton
Mais que se passe t-il alors entre la terminaison de l’axone moteur et le muscle ? Si les neuronistes ont raison que le système nerveux est contigu et non continu comment en rendre compte ?
La pharmacologie
Claude Bernard (1813-1878) en 1857 tente de montrer l’effet du curare utilisé par les amérindiens sur des flèches pour paralyser leur proie sur le système nerveux. Il postule la mort du nerf moteur une fois le curare introduit. Mais il se trompe, le curare ne fait qu’interrompre la communication entre le nerf moteur et les muscles. On suppose alors une substance chimique analogue au curare qui assurerait la communication dans le système nerveux.
Claude Bernard
Elliott apporte la solution avec la vessie du chat et sa stimulation par l’adrénaline isolée quelques années plus tôt. L’adrénaline se comporte donc comme un stimulant libéré chaque fois que l’influx nerveux arrive à la périphérie. Plusieurs dizaines d’années après, l’acétylcholine sera identifiée comme la substance produite par la cellule nerveuse qui assurent le transfert du signal électrique par la synapse.
Voici donc la naissance des neurotransmetteurs.
Pharmacologistes et biochimistes vont alors découvrir dès 1940 par Martha Louise Vogt que de l’acétylcholine est présente dans le cortex central.
Martha Vogt
Von Euler (1905-1983) va isoler la noradrénaline que Hillarp (1916-1965) et ses collègues suédois vont détecter par fluorescence sur des coupes histologiques des neurones qui en contiennent. Le système nerveux se pense donc maintenant en cations sodium, potassium, calcium, molécules et en neurotransmetteurs.
Voilà donc l’histoire synthétisée des neurosciences d’Aristote jusqu’à peu de temps avant nos jours. Je m’attaquerai volontiers quand j’aurai plus de temps au fonctionnement général du cerveau de manière détaillée dans plusieurs articles à suivre au sein de la catégorie Neurosciences.