Le Cerveau en Pièces détachées

Partie 1 : Evolution entre vertébrés :

Cet article est un résumé du chapitre 2 du livre « l’homme neuronal » de Jean-Pierre Changeux neurobiologiste célèbre qui a révolutionné les pistes de recherches dans le domaine des neurosciences.

Jean Pierre Changeux 1936 – X

Partons du général pour arriver au plus précis :

Un classement a été établi d’après Roland Bauchot et Heinz Stephan afin de faire un parallèle entre le poids du corps et le poids de l’encéphale de plusieurs espèces par le calcul d’un indice d’encephalisation.

On utilise pour cela une échelle logarithmique d’une base 10 (avec le poids abscisse et le poids de l’encéphale en ordonnée).

Lorsque l’on applique des coordonnées logarithmiques (dont le résultat est basé sur le nombre de puissance) avec une fonction exponentielle (fonction puissance elle-même) on obtient une fonction linéaire ce qui est très pratique pour comparer les évolutions entre différentes espèces. On obtient ainsi une série de droite parallèles qui ne se superposent pas.

Echelle ou système de coordonnées logarithmique avec le poids du corps en abscisse et le poids de la tête en ordonné. La fonction exponentielle est la bijection réciproque de la fonction logarithme décimal ce qui explique pourquoi on obtient une fonction linéaire.  @Bauchot et Stephan

Explication arithmétique et pédagogique de la représentation graphique :

Pour que vous puissiez remonter sur le graphique au fur et à mesure des explications je vais vous créer des ancres hypertextes internes tout du long de celles-ci.

Comment fonctionne une échelle logarithmique ?

Lecture graphique

J’ai glosé et calculer tous les poids, tracer des lignes pour les correspondances en fonction des logarithmes, mais à titre pédagogique exerçons nous.

Si vous avez suivi mon article sur les logarithmes la base employée ici est 10, quelle valeur le résultat d’un logarithme égal à 5 pour un nombre de puissances de 10 ? :

100.000 grammes soit 10^5 soit 10^2 kg de poids de corps. #graphique

Vous remarquerez que mon crayon à papier a volontairement tracé la ligne de l’homme à partir du point (elle n’est pas tracée sur le schéma original, ainsi que la continuité des singes (simiens) car l’auteur fait une comparaison unitaire entre les trois espèces :

Pour un logarithme du poids du corps égal à 1 entre les trois espèces soit 10g le singe a un cerveau environ de 11,3 plus gros que celui de l’insectivore de base. L’homme a un cerveau 28,7 fois plus gros. #graphique

Fonction antilogarithme

Il parle aussi d’un insectivore avec un poids égal à logarithme de 5 alors j’ai fait un point pour représenter un insectivore avec un tel poids et faire une correspondance en pointillé avec le poids de l’encéphale en ordonnée. #graphique

Partez toujours de l’abscisse soit log = 5, prenez votre doigt et remontez jusqu’au point de l’homme, par lecture graphique on voit que la correspondance avec l’ordonnée est log = 3,1. #graphique

Comment faire pour calculer le poids exact en kg ? je vais introduire un autre concept du logarithme fort simple, la fonction antilogarithme. On sait que la base utilisée est 10 et on sait que le résultat du logarithme est égal à 3,1 approximativement d’après notre tracé horizontal en pointillé. #graphique

On va utiliser la réciproque du logarithme décimal ou antilog que j’ai formalisé sur LATEX (voir mon article dessus) #graphique

Pour l’anecdote j’ai trouvé un code source latex qui symbolise l’antilogarithme comme pouvez le voir, il a la forme d’un N inversé qui s’étend comme une racine

La pente

La pente d’une droite est son inclinaison en ordonné pour un espace unitaire entre deux valeurs de x, par lecture graphique vous pouvez voir qu’elle est égale à 0,63. #graphique

Sur le schéma elle est représentée par les deux tracés pointillés verticaux entre 2 et 3 de log Poids du corps. Cette valeur alpha α correspond au rapport entre la surface et le volume dans cette représentation ce qui veut dire que le poids de l’encéphale est plutôt indexé sur la surface du corps que sur son poids.  

Conclusion

L’homme dépasse donc tous les vertébrés, le chimpanzé est proche (moins d’un facteur 2,5 soit : 520 g

Log (520) = 2,7 plus dangereux sont les phoques et les dauphins dont le coefficient par rapport à l’insectivore de base est respectivement de 15 et 20. #graphique

Annexe partie 1 : Expansion du néocortex entre 3 vertébrés

Bauchot et Stephan compare maintenant l’évolution du cortex à l’intérieur de l’encéphale entre les reptiles, les primates et l’homme grâce à un indice de progression, le reptile est à 1, le primate qui a le néocortex le plus développé est à 58 (chimpanzé) tandis qu’homo sapiens à un indice de 156.

Heinz Stephan 1924-2016

Le néocortex est si développé qu’il occuperait dans le cas où le cerveau aurait la forme d’un cube 7 dm² alors que la surface totale de l’écorce cérébrale mesure 22 dm². On connaît donc le pourquoi de la morphologie des circonvolutions du cerveau en plicatures enfouies dans les sillons en profondeurs.

Chez l’homme, la fraction de l’encéphale représente une part de plus en plus importante du poids du corps. Cela s’explique en partie par la corticalisation de l’encéphale qui est une caractéristique de tous les mammifères. (A noter qu’entre les trois schémas, le bulbe olfactif représenté par a ne fait que diminuer) L’homme à moins d’odorat que beaucoup d’animaux primitifs.

Partie 2 : Typologie et topologie des cellules du cortex

Dans le Cortex Baillarger grâce à des coupes histologiques a pu étudier le type de cellules présentes dans un cortex qu’il stratifie en 6 couches. Chez l’homme on compte deux catégories principales de cellules inégalement réparties à travers son épaisseur :

François Baillarger 1809-1890

François Baillarger

Les neurones se différencient donc en neurones pyramidaux qui se caractérisent par la longueur de leur axone et la forme de leur corps cellulaire comme leur nom l’indique. Les cellules en étoiles ou astrocytes font partie des cellules glies (vient du grec « gloios » qui veut dire glue)

Quant à ce qu’on appelle les neurites : pour faire simple ce sont les axones et les dendrites.

Les dendrites pour un neurone peuvent être apicales (au sommet de l’axone) ou basales (à la base du corps cellulaire).

Les cellules étoilées ont des corps cellulaires(soma) plus petits et de structure ovoïde. A titre d’exemple, dans l’aire visuel du cortex elles se répartissent dans trois couches densément et ont même exceptionnellement des épines au bout de leurs dendrites.

Les cellules étoilées ont des axones qui se projettent moins vers la surface et ont une fonction d’interneurone avec les cellules pyramidales caractérisée par leur arborisation dendritique différente ( en bouquet) de celle des cellules pyramidales.

Les cellules F, A, G, B sont des cellules pyramidales, elles projettent leur axone vers la surface du cortex tandis que les cellules étoilées C, D, E, H, M restent à l’intérieur et assurent le rôle de soutien. Elles ont des dendrites ramifiées de différentes sortes : à double bouquet (H), à axone court et ramifié en longues branches horizontale (E) etc…

Même si à travers les cortex ces deux types de cellules se répartissent différemment globalement l’homme et les mammifères ont un cortex avec une grande unité morphologique.

En effet à travers le lobe pariétal, temporal, occipital, frontal, on trouve la même catégorie de cellules qui seront spécifiées plus tard par les interactions biochimiques (neurotransmetteurs).

Le nombre de cellules pour une carotte entre l’homme, le primate et le rat est le même sauf dans l’aire visuelle de tous les mammifères ou l’on trouve 2,5 fois plus de cellules ce qui est logique compte tenu du volume et de la richesse d’informations transmises à traiter par notre rétine.

On en revient donc à la surface du cortex et de manière indu à l’expansion du néocortex comme facteur d’accroissement du nombre de neurones et de calculs chez l’homme.

L’architecture cellulaire du cortex varie d’apparence d’une aire à l’autre. A gauche section à travers un cortex sensoriel (aire visuelle) où les cellules étoilées s’accumulent dans trois couches denses d’où le nom de cortex granulaire. A droite cortex moteur avec des cellules pyramidales de grande taille.

Par contre chez les invertébrés on compte une grande diversité de ces catégories de cellules ce qui rend le fonctionnement de leur cortex plus complexe à étudier, à l’exception des céphalopodes qui ont la même tendance évolutive que les mammifères.

Partie 3 : Câblage

Grâce à la révolution de la microscopie électronique, on aurait pu croire qu’il aurait été plus facile d’étudier comment ces neurones sont reliés mais l’uniformité de la synapse est encore plus grande que celle des cellules.

Comment faire alors sachant qu’il y’a plus de 10^15 synapses dans le cortex de l’homme ? Cela prendrait 30.000 ans de les dénombrer une par une.

Powell a réussi à voir qu’il y’avait le même pourcentage de cellules en étoile et de cellules pyramidales dans deux aires très distinctes du cerveau le cortex moteur et le cortex visuel. Même si leur distribution dans les différentes strates comme on l’a vu est inégale. On peut donc schématiser comment le câblage s’opère.

Thomas Shroud Powell 1923-1996

Entrée/Sorties

Pavlov a prouvé que les organes des sens se projettent au niveau de certaines aires spécialisées, pourtant aucun d’entre eux n’entrent directement dans le cortex. Ils empruntent plutôt la voie du thalamus dans lequel certains neurones vont prendre le relais au niveau d’aires sous-corticales.

Ivan Pavlov 1849-1936

Représentation des entrées et des sorties ainsi que des interconnexions entre les différentes types de cellules.
les lignes : les fibres de neurones avec leurs axones, Les étoiles : représentent les synapses, les chiffres romains : les couches corticales, les traits horizontaux les connexions avec les cellules gliales ou astrocytes.

Pour mieux comprendre le schéma et son explication je vais créer des ancres ou hyperliens à l’intérieur de la page pour vous permettre de remonter et de regarder le schéma en parallèle du texte :

Toutes les aires corticales (6 couches en chiffres romains) qu’elles soient motrices ou d’association reçoivent des fibres provenant du noyau thalamique dans une unité d’organisation remarquable. Le cortex lui-même en est un point d’entrée. (2ème en partant de la gauche).

Les fibres issues du thalamus s’arrêtent toutes à la couche IV dans une arborisation en boule ou les synapses (étoiles) vont se relier aux dendrites ou d’autres neurones vont prendre le relais. Les impulsions vont donc se propager verticalement mais aussi par contact horizontal avec les astrocytes (lignes horizontales pointées). #schéma

On a pu analyser grâce à la coloration au peroxydase du raifort que la sortie des entrées du cortex est le cortex lui-même (3ème en partant de la gauche) dont certaines fibres d’association retournent vers le cortex du même côté (couches en chiffres romains) (ipsi) ou du côté opposé (contra) pour former des boucles. Le reste des sorties des cellules pyramidales s’arrêtent dans des zones sous-corticales. #schéma

Le second point d’impact est le noyau du thalamus (5ème en partant de la gauche) dont là encore les fibres du cortex retournent dans le cortex pour former un autre circuit en boucle, (les calculs s’enchaînent)  #schéma

Enfin le troisième et dernier point d’impact des cellules pyramidales sont les autres aires sensorielles telles que le Colliculus supérieur qui coordonne les mouvements des yeux et de la tête. Celles-ci vont déclencher des réactions motrices. Mais certains axones vont encore plus loin jusqu’à la moelle épinière dans des neurones moteurs qui commandent les contractions musculaires. #schéma

Ainsi on peut effectuer une analogie entre le fonctionnement du cerveau et celui de la machine dont les entrées-sorties peuvent former des boucles. #schéma

Partie 4 : Modules ou cristaux

Modules

La structure des interactions entre chaque neurone est-elle organisée en module ce qui implique une fixité des dimensions (géométriquement définies) et répétés ?  Vernon Mountcastle va reprendre les techniques d’encéphalogramme de Caton (voir mon article sur l’histoire des neurosciences) qu’il va optimiser à l’aide d’électrodes de plus petite taille qu’il va implanter dans la zone corticale pour étudier les réactions des neurones chez le chat sur un plan transversal.

Vernon Mountcastle 1918-2015

Lorsqu’il implante l’électrode dans l’alignement vertical les bandes de neurones répondent selon la même modalité (verticalement). Lorsque l’électrode est implantée sur un plan oblique la modalité varie brusquement ce qui laisse supposer que les colonnes sont organisées non par leur géométrie verticale dans le cortex mais par leur organisation avec les périphéries qui constitueraient les modules du cortex.

Les petites flèches sont les électrodes au centre placé en ligne droite, les trois sur la droite sont oblique ce qui montre une variation de la modalité représentée par la discontinuité des bandes verticales en noir.

Hubel et Wiesel vont aller plus loin, même si dans un premier temps la stimulation sensorielle à partir de chaque œil semble confirmer l’organisation verticale et la fixité de dimensions propre à une structure modulaire, lorsqu’ils vont changer de plan et voir le cortex de haut c’est-à-dire à plat, ils vont remarquer un réseau similaire aux bandes noires et blanches d’un zèbre.

Torsten Wiesel 1924-X
Dave Hubel 1923-2013

En enlevant complètement l’œil d’un chat à la naissance ils vont même voir que les bandes de l’œil qu’ils ont gardé envahissent toute la structure corticale par compensation, les bandes œil droit, œil gauche n’ont donc pas de dimensions fixes.

Les points de tissage corticaux du thalamus forment une arborisation en boule comme nous l’avons dit précédemment et s’organisent donc selon un tissage en 3 dimensions. En fait l’organisation neuronale du cortex est donc extrinsèque (part du thalamus) et non intrinsèque.

De même lorsque l’on stimule l’œil du chat avec de la lumière les bandes n’ont pas la même taille que par la stimulation de l’électrode. Le schéma en module de dimensions fixes même avec des petits modules dans des hyper modules emboîtées est donc trop réducteur.

Cristaux

On va chercher d’autres aires cérébrales dont la disposition cellulaire est plus simple et notamment le cortex du cervelet (visuel et granulaire) que l’on connaît bien. Chez les vertébrés la typologie de cellules est la suivante :

On compte 5 types de cellules dont celles de Purkinje qui peuvent être prises comme homologues des cellules pyramidales, les cellules en grain comme l’analogue des petites cellules étoilées et le reste est composé de 3 gros types de cellules étoilées.

Dans le cervelet les cellules s’organisent en trame horizontale dans le plan du cortex, elles s’organisent comme un nœud de réseaux, les dimensions varient d’une catégorie de neurones à l’autre. Une organisation analogue se trouve dans la rétine. Les hypothétiques modules s’organisent en fait sous la forme de cristaux en deux dimensions dont l’interconnexion en forme une troisième.

Distribution régulière des cellules ganglionnaires dans le plan de la rétine : à gauche cellules étoilées, au centre schématisation ou leurs connexions sont tracés par un trait continu. A droite, schématisation en cercle ou la régularité paraît moins bonne qu’au centre. Les cellules d’une même catégorie s’organisent de manière quasi cristalline.

Cette organisation en cristal est adaptée aux système d’entrée/sorties que nous avons vu et l’arborisation en boule du thalamus (couche IV du schéma entrée sortie), d’autre part, plus l’axone est long plus le corps cellulaire est gros et par la même occasion les dendrites basales ce qui contredit l’hypothèse en module de dimensions fixes.  

Par ailleurs, on sait que chaque aire corticale est différente en termes de disposition et de densité cellulaire ce qui singularise chaque connexion cristalline.

Notre cerveau est donc un répertoire de singularités de connexions reliées par des dizaines de milliers de synapses. La tâche pour comprendre chaque singularité est immense !

Synthèse

Le cerveau de l’homme ne diffère en rien de celui des mammifères dans leurs typologies et leurs morphologies. En effet dans une carotte de cortex on trouve la même densité de cellules et de synapses du rat à l’homme.

Cependant le cerveau de l’homme se distingue donc par l’expansion du néocortex, son épaisseur trois fois plus grande, mais aussi principalement par l’augmentation de sa surface 400 fois par rapport au rat. Celle-ci reflète un saut quantitatif résultant de l’accroissement de nombre de connexions possibles.

D’autre part, chaque aire du cerveau humain est différente de par la disposition et distribution intrinsèque aux zones corticales des deux types de cellules dans les différentes strates ce qui augmente de manière exponentielle les fonctions de calcul et sa singularité.